Textes critiques

Une complicité unit le monde sensible, soit ce qui est présent sous nos yeux, et l’abîme cosmique. De cela, les paysages que peint Christine Bry sont la claire illustration. Le concret - la floraison d’un pêcher, d’un amandier -, est issu de l’informe, naît de l’illimité. De brassages aveugles. Le lointain est de passage et impose sa marque ; on le voit aux vastes, aux puissants mouvements tournants qui affectent le terrain à quelques pas seulement des arbres.
Des prés, un pêcher en fleurs - on cherche un troupeau, pour le moins un agneau égaré sous un arbre... C’est une pastorale. Mais le chemin ondoie vers un bois sombre au-dessus duquel flotte un soleil pâle, et le doute s’insinue : est-ce le soleil qui flotte dans un ciel liquide ou bien la lune errante dans une nuit lactée et mauve ? S’agit-il d’un petit matin de printemps brumeux ou d’un rêve nocturne porteur de mélancolie sous une lune voilée dérivant parmi de mouvantes nues ? Car elles bougent ces nuées, tournoient comme le fait ce sentier qui disparaît entre les arbres échevelés. Le pêcher penche et se courbe sous une bourrasque imprévue qui fait vaciller le paysage.
Christine Bry est venue comme naturellement à la peinture, mue par une nécessité intérieure. Dès l’enfance elle est attirée, ravie (au sens fort du terme, celui que lui donne Marguerite Duras dans « Le ravissement de Lol V.Stein ») par la peinture. Enlevée, capturée, victime consentante d’un rapt joyeux. Le ravissement n’est-il pas à l’œuvre dans l’expérience esthétique ? Sa mère, italienne, n’est pas étrangère à cette fascination précoce. Fascination enrichie par la visite des musées de France et d’Italie où l’entrainaient ses parents et par les longues heures passées, adolescente, à contempler des reproductions dans les livres d’art.

Le même petit cheval d’ici à Lascaux, de Lascaux à la grotte Chauvet, soit un saut de dix-huit mille ans, et encore de dix-huit mille ans, comme si en trente-six mille ans le monde s’était livré à un vertigineux exercice de surplace, ou du moins que sur l’essentiel – le miracle de la vie, l’effroi de la mort – il n’avait pas beaucoup appris. Or pour tout le monde la cause semble entendue.
Qu’est ce qui nous émeut, lorsque nous contemplons des ruines ? La ruine nous bouleverse, parce qu’elle est… ruinée. C'est-à-dire parce que sa dégradation nous donne à méditer sur notre condition mortelle, mais encore parce que cette perte irrémédiable nous autorise à faire preuve d’imagination - remplir les vides, noircir les blancs. Ce qui passionne, dans l’art issu de la préhistoire ou de l’Antiquité, tient à ses fragmentations et ses lacunes (un tesson de poterie est une incitation au rêve bien supérieure à une poterie entière).
Christine Bry, à l’évidence, est inspirée par les peintures pariétales et par les fresques pompéiennes.
Sa rencontre avec la philosophie a conduit tout naturellement Christine Bry vers la peinture. Au cours de ses années d'étude à Lyon, elle a soutenu un mémoire d'esthétique intitulé « Présence et Création de l'œuvre d'art », avant d'aborder elle-même les difficultés et les bonheurs de la création.

La chair et l'argument, le geste et la pensée, la figuration et l'abstraction ... Mon travail de poète et de romancier gravite depuis longtemps autour de ce face-à-face qui, je crois, nous constitue, nous nourrit. II s'agit d'un dialogue essentiel, une sorte de danse des contraires à la fois somptueuse, déroutante et jubilatoire.
La peinture de Christine Bry éclaire cette problématique avec une sorte de courage qui force l'admiration.
Elles ne se regardent pas. Elles sont noires et blanches, deux rives opposées, unies, chacune regardant l'autre par le côté de l'invisible où la lumière pénètre. Elles sont deux sœurs, deux faces d'une seule paroi et en même temps la droite et la gauche du monde.
Ce sont d'étroites fenêtres par où nous regarde l'Infini. Nous regarde? Non, à vrai dire. En ces yeux allongés, à l'expression pensive, à la fois sévère et sereine, qui ne nous considèrent nullement, l'abîme affleure; érigé en de clairs visages aux lèvres closes, le plus souvent féminins, il se laisse simplement contempler.